La grande distribution change d’époque et d’outils
Le 15 juin prochain, la grande distribution fêtera les 50 ans du format hyper. C’est en effet à Saint-Geneviève-des-Bois que Carrefour inaugurait le premier hyper français. Aujourd’hui en (légère) perte de vitesse et souvent décrié, il séduit toujours 92% des consommateurs une à deux fois par mois.
Les paradoxes sont partout et la grande distribution n’y échappe pas. A l’aube de son cinquantième anniversaire, le format hyper, symbole du d’un capitalisme à la française, cristallise toutes les contradictions de l’Homo Economicus. Quelques chiffres en témoignent : 52,3% des produits de grande consommation y sont achetés 1 par plus de 9 français sur 10 une à deux fois par mois 2 alors que … 50% d’entre eux en ont une image négative. Pire, deux français sur trois rendent même ce format en partie responsable de la crise. Rien de moins !
« L’hypermarché : la crise de la cinquantaine »
Pourtant, l’hyper à la française (+ 2 500 m2 de surface de vente) est toujours bel et bien présent. Après une légère érosion de sa part de marché (18,2% aujourd’hui selon l’INSEE contre 20% en 1999), le format est arrivé à maturité. » Le concept de tout sous le même toit est mis à mal par la démassification et la communautarisation de la société qui font le succès du commerce de précision comme le hard discount, les commerces de proximité par exemple » explique Philippe Moati, co-président de L’ObSoCo dans son texte « L’hypermarché : la crise de la cinquantaine « , l’hyper souffre de la transformation des imaginaires de consommation : lui qui incarnait la modernité, la praticité, l’accès pour tout à la félicité de la consommation … est désormais de plus en plus souvent perçu comme trop grand, trop impersonnel, fatigant.
Il fait figure de symbole d’un commerce déshumanisé alors que les valeurs montantes résident davantage dans le « petit », le « proche », « l’authentique ». La fuite vers d’autres formes de commerce s’effectue depuis les années 90-2000 d’abord vers le hard discount pour l’alimentaire, puis vers les enseignes spécialisées comme l’habillement, l’électroménager, les jeux et les jouets et les produits culturels.
Plus récemment, c’est la proximité (voire l’ultra-proximité avec les formats en commerce de flux notamment) et surtout le drive qui ont le vent en poupe.
Le nombre de Drive a d’ailleurs dépassé celui des hypers au printemps dernier : 2 030 contre 1 940 1 aujourd’hui. Ce sont les groupes de distribution eux-mêmes qui initient ces nouveaux formats…
Mais les crises successives ont sans doute bouleversé l’un des fondamentaux des hypers : celui de la sauvegarde du pouvoir d’achat. « Les hypers vivent une crise de légitimité » poursuit Philippe Moati » Cette légitimité s’est fondée sur sa contribution à l’accroissement du pouvoir d’achat des ménages et à la démocratisation de l’accès à la consommation. Mais 55% des français n’y croient plus !
Et plus grave ils pensent que les hypers ont leur part de responsabilité dans dans crise économique et sociale que connaît la France…/… Une sévérité que tend à démentir un niveau de fréquentation extrêmement élevée et une part de marché qui reste importante. » Tout comme le panier moyen qui est ainsi passé de 20 à 40 € en 13 ans par exemple 1.
Ce rejet subjectif est davantage une question d’image. La défiance envers ces « supers puissances du commerce » suit la courbe générale de l’opinion envers toute forme d’organisation qui détient une forme de pouvoir. Le marketing dans la grande distribution – laissé aux seuls industriels jusqu’aux années 80 environ – est aujourd’hui devenu stratégique.
Du merchandising en passant par le CRM, la RSE ou la fidélisation c’est sans doute à travers ces outils que l’hyper à la française fêtera ses 60 ans sans trop de casse.